Je ne pourrais jamais détailler tout ce qui arrivait à notre joyeuse compagnie durant ce séjour, d'une part parce que certains événements ne peuvent être écrits, car ils y perdraient leur sens et leur spontanéité, d'autre part parce que certains autres ne peuvent être que des souvenirs, des images toujours vivantes tenues sous le coeur et qui mourraient peut-être d'être disséquées sous une plume.
Cependant, je me dois d'apposer sur le papier tout ce qui peut l'être concernant mes amis, ces éclats de Sicile qui m'apprirent à l'aimer.
Vincenzo et Walter sont deux masci sans qui je n'aurais jamais pu ouvrir mon âme à leur île. Walter, du haut de sa petite taille et parfois paré d'une épaisse barbe rousse, impose par sa voix légèrement cassée, mais toute en douceur. Lui et Vincenzo sont meilleurs amis. Ils s'accompagnent dans la plainte, la colère, le rire ou la paresse. Vincenzo est grand et toujours habité d'une noblesse qui confine parfois à la fierté. Mais il est plein d'honneur, et jamais ne serait traître. Walter est une crème de sicilien, un homme à marier dont la gentillesse n'est nulle part égalée. Fort conscient du lien qui l'unit à ses amis, il en prend le plus grand soin.
Giulia rappelle quelque peu ces marbres romains représentant Athéna ou Cérès. Le visage ferme, des pieds tout en courbes douces et un corps qui semble être passé sous le ciseau habile d'un Phidias, les yeux profonds et fumeux d'intelligence, elle sait parfois d'un simple oscillement de pupilles être plus explicite que si elle avait discouru des heures.
Jessica possède dans ses yeux un noir dont les moirures changeantes dialoguent sans cesse. Elle est d'une gentillesse qui dépasse l'entendement et qui se veut si discrète que l'on n'ose dire merci de peur d'offenser cette belle et ténébreuse brune.
Terry, qui malgré sa décision de m'épouser à fui indéfiniment les noces avant de revenir me les promettre, est très fine, a un caractère bien trempée et un regard perçant sur sa propre personne et sur celle des autres. Elle est d'une beauté si personalisée, si originale qu'on ne peut que l'observer avec amusement. Le visage de Terry est semblable en certains points à la grandiose figure de la Sicile, pleine d'expressions parfois saugrenues, souvent inattendues, toujours du plus joli des effets !
Piero était le responsable logistique de notre entreprise, ainsi qu'un précieux meneur et donneur d'ambiance. Il nous prodiguait conseils, blagues, nourriture, moyens de transport, musique (dont la fameuse "disko partizani") et, il faut bien le dire, cigarettes. De plus, il était un des trois archéologues confirmés du site, et achevait un mémoire sur la trépanation durant la préhistoire.
Alessandra était étudiante en archéologie à Palerme, mais écoppa, malchanceuse, du travail de laboratoire, c'est à dire lavement, datation, classement des innombrables éclats de céramiques récoltés. Un tâche dure et amère, qui n'ôtait cepandant pas à Alé sa sympathie, et son français tatônnant !
Valentina, archéologue tout comme Piero, dirigeait une équipe de fouilles sur le site de San Martino, à Partana. Elle parlait d'une voix came dans lequel s'immiscait parfois un petit rire contagieux, qui lui conférait d'ailleurs un côté épanoui assez beau.
Betty, bien sûr, dont j'ai déjà parlé. Sans elle je n'aurais pu entrer de plein pied sur cette ile qui allait flotter éternellement sur mes mains. Betty m'a accueilli a bras ouverts chez elle, m'a permis de vivre cet épisode de mon existence, sans attendre aucun retour. Elle est de plus pour moi un modèle, une archéologue accomplie, passionée et qui n'hésite pas à travailler bien plus lors d'une découverte prometteuse, parfois au grand dam des siciliens !
Olga, sangue mio, est l'une des blanches les plus bronzées qu'il m'ait été donné de voir. Pleine d'énergie (parfois trop, son débit de parole incroyablement veloce me donna du fil à retordre), extravertie autant que faire se peut, elle me donnait chaque jour un peu de sa tendresse extravertie, ne jurant que par mots doux et sobriquets tendres !
Stefania cachait sous un visage parfait, habité d'un de ses calmes que l'on reconnaît aux femmes fortes et indépendantes, une âme de voyageuse. Elle rêvait de faire le tour de l'Europe, et parlait un italien si lisse et fluide que l'écouter était un plaisir. Son père, un pince sans rire désopilant, me fit une impression innénarable.
Rosy, une strurusa, ma strurusa, alliait à une beauté claire comme un fjord norvégien une ingénuité un peu théatrale. Mais sous ses traits un peu légers sommeillait une âme complexe et généreuse qui en fit une des mes amies les plus chères. Nous passions notre temps à nous jeter des quolibets adorables et à rire sur les mots d'argot sicilien que j'apprenais au jour le jour, tout exprès pour cultiver ma répartie !
Giusi avait la capacité merveilleuse d'illuminer son environnement d'un sourire large dans lequel se lisait un amour universel. Ses rires mouillaient ses yeux de larmes étoilées qui laissaient un peu de nacre au coin de son regard intelligent, intriguant derrière les verres fins de lunettes. Je put parler avec elle de multiples sujets sur lesquels il est la plupart du temps dur de s'exprimer en langue étrangère, mais qui avec elle prenaient un sens universel et humain.